• Saison 2015-2016
Salle Jean Vilar
2h30
Dès 16 ans

De Shalom An-ski
Mise en scène Benjamin Lazar
Collaboration artistique Louise Moaty

Il y a juste un siècle, en Russie, An-ski déposait à la censure la première version d’une pièce écrite en russe, traduite en yiddish, puis en hébreu, et qui s’imposera bientôt comme une oeuvre majeure de la production théâtrale du XXe siècle.

L’histoire repose sur un ressort dramatique, doublé de fantastique : les amours contrariées de Léa et Khanan entraîneront la mort du jeune homme qui restera uni à sa bien-aimée en prenant possession de son corps, comme le font les « dibbouks ».
De ses périples en Europe et dans les communautés juives, l’auteur rapportera une oeuvre parlée, chantée et dansée qui prône la diversité des cultures, source de richesse pour l’humanité. Benjamin Lazar en livre une version ambitieuse, portée par douze comédiens et trois instrumentistes. À l’heure où les interrogations sur ce que nous sommes se doublent d’une agressivité envers ce que nous ne sommes pas, Le Dibbouk propose une réponse d’une brûlante actualité.

De Shalom An-ski
Mise en scène Benjamin Lazar
Collaboration artistique Louise Moaty

Avec Paul-Alexandre Dubois, Simon Gauchet, Eric Houzelot, Benjamin Lazar, Anne-Guersande Ledoux, Louise Moaty, Thibault Mullot, Malo de la Tullaye, Léna Rondé, Alexandra Rübner, Nicolas Vial, Stéphane Valensi
Violes Martin Bauer
Serpent et autres instruments Patrick Wibart
Cymbalum et percussions Nahom Kuya

Adaptation Louise Moaty et Benjamin Lazar, d’après la traduction du russe de Polina Petrouchina et le travail sur la version yiddish de Marina Alexeeva-Antipov
Conseils sur cantillation de l’hébreu Sofia Falkovitch
Conseils sur la langue yiddish Akvile Grigoraviciute
Enregistrements Les Cris de Paris

Assistant à la mise en scène Adrien Dupuis-Hepner
Composition Aurélien Dumont
Coordination musicale Geoffroy Jourdain
Chef de chant Paul-Alexandre Dubois
Chorégraphie Gudrun Skamletz
Scénographie Adeline Caron
Lumières Christophe Naillet
Costumes Alain Blanchot, assisté de Julia Brochier
Coiffure et maquillage Mathilde Benmoussa


Habilleuse Sabine Bulant
Régie générale Vincent Gallemand
Régie son Michel Lothe
Régie plateau Frédéric Samadet
Régie lumière Grégory Vanheulle

L’histoire du Dibbouk double d’une dimension fantastique la fulgurance d’un destin amoureux tragique comme celui de Roméo et Juliette. An-ski a su trouver l’équilibre parfait entre les particularités du milieu historique et culturel qu’il veut dépeindre et conserver grâce au théâtre, et l’universalité des sentiments et des idées. Monter cette pièce aujourd’hui, c’est d’abord prendre la mesure de l’événement qu’elle représenta en Europe lors de sa création, c’est comprendre le chemin de pensée des différents artistes qui y travaillèrent et c’est remettre au jour des pans occultés de sa conception, à commencer par sa dimension musicale. Il s’agit aussi pour la troupe du Théâtre de l’incrédule de créer une nouvelle version de la pièce, capable de mêler à nouveau inextricablement, de façon renouvelée, enjeux esthétiques, enjeux de mémoire et enjeux politiques. À l’heure où l’interrogation sur ce que nous sommes se double et se conforte d’une agressivité exacerbée envers ce que nous ne sommes pas, la démarche d’An-ski dans le Dibbouk frappe par sa pertinence. Portant sur la culture juive dont il est issu un regard à la fois aimant et critique, An-ski compose une histoire bouleversante où l’exaltation des beautés et de la force spirituelle d’une religion et d’une société n’empêche pas une critique virulente de la coercition qu’elles engendrent. Le surnaturel est ici une manière de dire la force de révolte contre l’ordre social établi : la force mystérieuse qui s’empare de Léa est aussi celle du refus. Révolution esthétique lors de sa création par sa manière de lier inextricablement la musique à la parole parlée, et le fantastique au réalisme, c’est aussi une révolution de pensée qui se joue dans le Dibbouk : l’effort sans cesse à renouveler pour que la vie sociale produise plus de liberté, et que l’originalité de la culture de chaque peuple vienne enrichir l’humanité toute entière.
Benjamin Lazar

[COLUMN]

Le Dibbouk, la musique et la danse
Prières chantées, psalmodies, cantilations de la Bible, chants et danses de mariage, ou cornes sonnant pendant l’exorcisme, la musique est présente en permanence dans le Dibbouk. Elle joue un très grand rôle dans le glissement qui s’y opère entre le réalisme et le fantastique ; elle ouvre les espaces possibles à l’arrivée du surnaturel. Lors de sa création déjà, au début des années 20, Le Dibbouk a frappé par ces glissements subtils entre la voix parlée et le chant. Le metteur en scène Evgueny Vahktangov avait travaillé avec Joël Engel, le compositeur qui avait accompagné An-ski lors d’un voyage ethnographique qu’il avait mené dans les communautés juives. Il avait composé une musique de scène originale issue en partie de leurs enregistrements dans les villages, et de la culture hassidisme. Pour cette nouvelle création, nous avons fait appel au compositeur Aurélien Dumont en lui demandant de revisiter la musique juive populaire et religieuse. Nous avons rencontré avec lui Sofia Falkovitch, première femme chantre, qui nous a guidés dans la connaissance de la cantillation de l’hébreu biblique et du yiddish. Aurélien Dumont compose une partition où de légers décalages s’opèrent dans la musique traditionnelle. Ces décalages se font par le choix d’instruments venus d’autres pratiques musicales : le serpent (instrument de la Renaissance) et la viole de gambe (instrument baroque) jouent aux côtés du cymbalum. Ces instruments sont également détournés de leur pratique habituelle : parfois préparés comme les pianos de John Cage, des tintements ou vibrations donnent une texture étrange à la ligne mélodique. Un chœur de voix enregistrées vient se mêler au chant des comédiens et du chanteur lyrique Paul-Alexandre Dubois, doublant ainsi la présence des comédiens d’une présence invisible. La musique s’élabore dans un aller-retour entre composition à la table et plateau ; Aurélien Dumont transmet sa musique principalement oralement, afin que s’invente une tradition propre à la troupe, venant dialoguer sans vouloir l’imiter, les traditions entendues par An-ski lors de ses voyages. Il en est de même pour les chorégraphies de Gudrun Skamletz, en partie construites sur les danses traditionnelles de fête et de mariage juifs, et en partie issue de l’écoute des musiques d’Aurélien Dumont et de ce qui s’invente au plateau, dans la distance qui nous sépare de ce lieu et ces temps revisités et réinventés au présent.

Une pièce, quatre langues
Comme pour la musique, le rapport de l’histoire du Dibbouk aux langues qui la portèrent est très signifiant. La première version connue est un texte russe déposé à la censure en 1915. On pense que c’est lors de sa rencontre avec Constantin Stanislavski qu’An-ski décida de traduire la pièce en yiddish, pour faire entendre la langue des habitants de la communauté qu’il peignait, et donner à l’action encore plus d’émotion et de vérité […] Créée en Pologne en yiddish cinq semaines après la mort de l’auteur, la pièce, qui avait également traduite en hébreu, langue alors sans État, fut jouée dans cette langue à Moscou en 1921 […] Notre Dibbouk sera présenté dans une nouvelle traduction de la version russe jusqu’ici inaccessible en français, complétée par une traduction nouvelle de certains passages en yiddish, car An-ski a beaucoup complété la pièce au contact de Stanislavski et d’autres metteurs en scène. On y entendra également des parties parlées et surtout des chants en russe, en hébreu biblique et en yiddish.

Benjamin Lazar

Metteur en scène et comédien, Benjamin Lazar a été formé auprès d’Eugène Green à la déclamation et à la gestuelle baroques, puis a complété sa formation de comédien à l’école Claude Mathieu, tout en pratiquant le violon et le chant. En 2004, sa mise en scène du Bourgeois Gentilhomme rencontre un très grand succès public et critique. Cette même année, il crée sa compagnie, Le Théâtre de l’incrédule. Avec l’ensemble La rêveuse, il adapte et joue L’Autre monde ou les états et empires de la lune, roman de Cyrano de Bergerac. Il a créé également avec sa compagnie Comment Wang-Fô fut sauvé, adaptation musicale de la nouvelle de Marguerite Yourcenar. Parmi ses mises en scène à l’opéra, on compte Hermione de Lully (direction musicale de Vincent Dumestre) ; Il Sant’Alessio de Landi (direction musicale William Christie), et en 2014, Riccardo Primo de Haendel à Karlsruhe (Allemagne). En 2010, il a créé dans ce même théâtre l’opéra d’Oscar Strasnoy Cachafaz, d’après la pièce de Copi (direction Geoffroy Jourdain). Sa dernière création, Pantagruel d’après François Rabelais, avec Olivier Martin-Salvan tourne cette saison 2014-2015, saison de création du Dibbouk. En 2014, il a reçu le prix Plaisir du théâtre de la SACD.

[COLUMN]

Aurélien Dumont

Né en 1980, Aurélien Dumont vit et travaille à Paris et Tokyo. Il étudie au CNSM de Paris dans la classe de Gérard Pesson et à l’IRCAM (Cursus 1 et 2 en composition et informatique musicale). Depuis 2012, il est doctorant contractuel en composition musicale au sein de l’Ecole Normale Supérieure de Paris. Lauréat de plusieurs concours internationaux (Prix Pierre Cardin – Académie des Beaux Arts, 2013 ; prix Hervé Dugardin – SACEM 2014). Ses œuvres ont été interprétées dans les plus grands festivals de musique contemporaine par des ensembles comme l’ensemble 2e2m, le Quatuor Diotima, l’ensemble Kammer Neue Musik Berlin, Les Cris de Paris, Aédes. Très présent dans le domaine de la scène, le catalogue d’Aurélien Dumont comporte plusieurs opéras et œuvres de théâtre musical. Il travaille avec des metteurs en scène comme Frédéric Tentelier, Benjamin Lazar ou encore Mireille Larroche. La culture japonaise, le lien avec la musique du passé, la poésie contemporaine (longue collaboration avec Dominique Quélen) ainsi qu’une réflexion particulière sur la scénographie musicale sont au centre de la musique d’Aurélien Dumont. 

Le Dibbouk

Benjamin Lazar et la troupe du Théâtre de l’incrédule proposent une adaptation du Dibbouk d’une intelligence dramaturgique et scénique éblouissante. Un immense spectacle qui confirme l’exceptionnel talent de ses créateurs et interprètes.
Shalom An-Ski, premier ethnographe du monde juif oriental, commença, en 1905, à s’intéresser à son folklore et à en constituer le patient répertoire. Avant que la Première Guerre mondiale et la révolution ne viennent interrompre sa collecte, il recueillit les chansons, les croyances, les récits, les mythes, les rites de cette culture ancestrale. Vingt ans plus tard, il écrivit Le Dibbouk, synthèse théâtrale de cette recherche. Le minutieux travail de Benjamin Lazar s’appuie toujours sur une connaissance précise des œuvres, de leur conception et de leur production : d’emblée, il replace la pièce dans son terreau ethnologique. La première partie du spectacle installe les comédiens au plateau dans la décontraction savante d’une recherche à la table. Les questions fusent sur la manière dont l’âme migre de corps en corps, sur les usages maritaux et les superstitions liées à la grossesse. La religion organise le rapport à la transcendance et règle les rapports à l’intérieur des communautés : on conçoit la manière dont les hommes prient en comprenant leurs mœurs. Le théâtre s’est ainsi installé mine de rien, et il suffit que les tables soient déplacées pour qu’on passe d’un congrès de malicieux anthropologues à la yeshivah de Braïnitz. Les étudiants y discutent du Talmud et de la Kabbale, des séraphins et des quatre niveaux de la Torah. Louise Moaty et Benjamin Lazar ont travaillé d’après la version russe et la version yiddish du texte original. Etudiant précisément la cantillation de l’hébreu, ils ont inséré chants et prières sacrées dans le texte. Répliques en yiddish et texte français sont tuilés avec un lumineux souci d’intelligibilité. On ne perd rien de l’histoire tout en se laissant bercer par les modulations de la langue originale et la magnifique composition musicale d’Aurélien Dumont.

Un théâtre thaumaturge
Dans un décor minimaliste, seuls quelques accessoires suffisent à camper l’ambiance de la yeshivah et celle du shtetl, selon un subtil mélange entre mysticisme et prosaïque, étude du Talmud et verres de vodka. Khonen, étudiant exalté et mutique, meurt en apprenant que sa promise, Leye, a été fiancée à un autre. Le jour de son mariage, la jeune fille se refuse à son époux, car son corps est possédé par un dibbouk. L’âme errante de Khonen vient réclamer celle avec laquelle il aurait dû s’unir, si la promesse des pères n’avait pas été trahie par l’amour de l’argent. Troisième cercle de l’histoire et troisième étape du spectacle : le procès où le tsadik Azriel affronte les forces invisibles pour lutter contre cette union monstrueuse entre la vie et la mort. Le théâtre, plus fort que l’amour, se fait alors thaumaturge. Lorsque Stéphane Valensi (Azriel) trace au sol le cercle dont ne peut sortir l’âme du père de Khonen, on a l’impression incroyable de la voir, à l’instar des sages assemblés pour la combattre. Le miracle de la présence, que seuls parviennent à réaliser les comédiens d’exception, est à l’œuvre dans ce spectacle, dans le corps possédé de Louise Moaty comme dans l’interprétation de chacun. Un fichu pourpre ou une tunique blanche font apparaître les personnages de manière sidérante et bouleversante. De l’ethnographie initiale, répertoriant les modalités spirituelles, on est passé à la démonstration en acte de la puissance mystérieuse des forces de l’esprit. Benjamin Lazar dévoile le beau et ouvre le rideau du théâtre avec le même minutieux respect qu’on doit au parokhet, qui dissimule aux yeux des fidèles les rouleaux de la Torah. Le spectacle qui s’offre alors aux yeux de qui aura eu l’humilité de comprendre et le désir d’aimer est éblouissant.

La Terrasse – Catherine Robert, 16 septembre 2015

 

Les âmes vagabondes

Avec sa vision du de S. An-ski chanté, dansé et joué en français, en hébreu et en yiddish, Benjamin Lazar nous fait voyager dans le temps intime et collectif de l’intériorité.

L’âme voyage et ce simple fait pose d’innombrables questions. Ethnologue de sa propre culture, Shalom An-ski, né en 1863 en Biélorussie, a parcouru 70 communautés juives en Galicie, Volhynie et Podolie pour recueillir les mélodies, chants et croyances de la tradition juive en 1910. Il avait établi un questionnaire publié sous le titre “Der Mensch” composé de près de 3 000 questions qui débute ainsi : “Quand l’âme entre-t-elle dans le corps ?”
On sait quand elle le quitte, avec la mort. Mais il arrive qu’elle s’installe alors dans un autre corps, soit pour le hanter, soit pour réclamer réparation d’une injustice subie de son vivant. C’est ce que la tradition juive nomme le dibbouk qui donne son titre à la pièce de S. An-ski. On y suit les amours de Khonen (Benjamin Lazar) et de Leye (Louise Moaty) que rien ne pourra séparer, ni le mariage auquel son père veut obliger Leye, ni la mort de Khonen, ni l’exorcisme pratiqué par Rebbe Azriel pour obliger le dibbouk à quitter le corps de Leye qui choisit alors la mort pour retrouver son amant.
La mise en scène de Benjamin Lazar, qui a adapté la pièce de S. An-ski avec Louise Moaty, a ceci d’incroyable que, telle une capsule temporelle, elle nous plonge au présent dans l’univers des schtetlech d’Europe de l’Est de la fin du XIXe siècle. Au plus près de la démarche ethnographique de S. An-ski, il accorde autant d’importance à l’histoire de la pièce, jouée en français, en hébreu et en yiddish, qu’à son contexte où cohabitent les musiques, chants, prières et danses de mariage revisités par le compositeur Aurélien Dumont. Le spectacle commence dans la yeshivah (centre d’étude de la Torah et du Talmud) que fréquentait Khonen. Une introduction qui nous plonge directement dans l’atmosphère de ce Dibbouk et permet “de nous placer dans cet entre-deuxmondes”, précise Benjamin Lazar. “Celui entre les vivants et les morts, mais aussi celui qu’est le théâtre, situé dans plusieurs temps et plusieurs lieux à la fois.”

Les Inrockuptibles – Fabienne Arvers, 11 novembre 2015

Production Maison de la Culture – Centre de création et de production / Amiens ; Théâtre de l’Incrédule.
Coproduction Le Printemps des Comédiens / Montpellier ; MC2 / Grenoble ; Théâtre de Caen ; Théâtre Gérard-Philipe – CDN / Saint-Denis ; Les Théâtres de la Ville de Luxembourg et le Théâtre du Beauvaisis.
Avec le soutien de la Spedidam, de la Drac et de la Région Haute-Normandie, la collaboration des Cris de Paris et la participation artistique du Jeune Théâtre National et de l’Ensatt. 
Résidence d’aide à la création Fondation Royaumont.