Au cours de la saison 23/24, Zelda Bourquin, artiste associée au Théâtre, continue l’aventure du Prélude oratoire. A l’issue d’un après-midi de travail avec un groupe de lycéens ou d’étudiants, un avant-spectacle est proposé dans les espaces d’accueil du Théâtre. Le texte du Prélude oratoire est écrit par Zelda Bourquin et résonne avec le sujet du spectacle ensuite présenté. Vendredi 15 décembre, les étudiants en spécialité théâtre de la CPGE Joliot-Curie Nanterre ont exprimé la possibilité d’une éloquence collective avant Hélène après la chute. Voici le texte.

Hélène, gueule de chien

et fleur de safran

Prélude oratoire au spectacle

Hélène après la chute de Simon Abkarian au Théâtre de Suresnes Jean Vilar

Le 15 décembre 2023

Ce prélude a été écrit pour être dit dans le foyer du Théâtre de Suresnes Jean Vilar par un groupe d’étudiants et étudiantes en classe préparatoire accompagné par leur professeur Alexis Leprince. Il sera adressé au public avant la représentation du spectacle Hélène après la chute, écrit et mise en scène par Simon Abkarian.

Le discours est écrit comme une partition vocale. Je cherche des formes d’éloquence collective, des espaces de parole hybride pour donner voix à des identités de groupes où ensemble, on trouve la force de parler. Durant cette parole portée collectivement, nous nous affublons de mots trop grands,  parfois lointains, de pensées extra-quotidiennes ou prosaïquement poétique. Car dans le foyer du théâtre, nous ne sommes plus vraiment dans la réalité, et nous ne sommes pas encore dans la salle de théâtre. C’est un espace de seuil, de transition où les spectateur.ice.s se transforment en peuple-public, où la parole progressivement quitte ses habits quotidiens pour bientôt retrouver la salle de spectacle qui traverse les âges, les langues et les corps.

J’éprouve et élabore ces formes collectives de l’oralité grâce à l’invitation de Carolyn Occelli à être artiste associée au théâtre.

Zelda Bourquin

Mesdaaaaaames et messieurs !

Voilà qui voici c’est nous nous revoici c’est encore nous

Le groupe qui parle juste… avant

Parmi vous, certains ou certaines nous ont déjà vu

ou entendu

Pour les plus assidus, les abonnés, les disciplinés, les réguliers, les férus,

les ponctuels

Vous nous avez peut-être entendus … vociférer d’une certaine manière

Avant d’aller faire déchirer votre ticket et rejoindre votre fauteuil

C’était avant la Douleur ! Ah la la Dominique Blanc

C’était avant Dom Juan ! Toujours le ptit Molière.. !

C’était avant Cette langue que je n’ai pas choisie, sacrée Agota Kristof.. !

De temps en temps

Nous venons

Nous… prenons le foyer du théâtre

Et nous vous parlons

Comme pour vous bénir

public chéri

Nous sommes

LE GROUPE QUI PARLE AVANT

Bref

Avant d’aller dans la salle obscure

Là-bas

Voici notre précaution oratoire

Notre oraison festive

Réalité Réalité !

Dehors !

Reste là-bas !

Réalité !

Pitié ! Laisse notre public tranquille

Ne t’interpose pas entre lui et le théâtre

Laisse le plonger tranquillement

dans la beauté tragique des héros antiques

S’ils viennent ici c’est juste un peu…l

lever le pied

n’est-ce pas ?

Réalité Réalité

reste dehors !

Laisse tes pensées angoissées à la porte du théâtre

Laisse nous respirer l’air de la fiction

Laisse nous redevenir des humains

Dehors les TO DO LIST !

Dehors les cadeaux de noël pas encore fait !

Dehors les rhumes et les morves

Dehors les préoccupations financières

Dehors LA COP28 qui signe les traités de prolifération pétrolière

Réalité !

tire ta révérence,

Laisse nous redevenir un peu

réels

Dans nos fauteuils

Tire la révérence

car nous entrons en terre antique

Et nous allons devoir 

nous départir de nos carcasses sociales.

Quittons nos carcasses trop…

convenables

Ramollissons

Ramollissons nos cœurs.

Oui Ra-mo-lli-ssons nous

Avant toute chose

Nous attendrir,

nous r-attendrir

Baissons les armes et

ramollissons notre petit cœur

à chacun et à chacune.

Gorgeons-le de larmes prêtes à venir

De larmes tendres qui pleurent  joliment et discrètement dans le fauteuil rouge

Les larmes de quand les mots et les mains tremblantes des acteurs

Nous rappelleront la douce douleur de la vie

Qui va et vient

Des mots qu’on n’arrive pas à dire pour dire l’amour

Qui va et vient

CE SOIR,

CE SOIR

PLUS QUE JAMAIS

Nous pouvons les ramollir

Nos cœurs vaillants

Les laisser devenir

Talon d’Achille

En attendant que la flèche théâtre nous traverse

CHLAC !

Ils vont se revoir

Ils sont tout prêts de se revoir

Là-bas derrière

LUI

le roi inconsolable

Errant entre l’amour et la mort

Sous un ciel rétrécit

Fracassé par le dedans

LUI

le roi qui marche vouté dans son palais

Depuis qu’elle est partie

Vouté comme l’arche d’un pont qui ne va nulle part

Si ce n’est vers sa douleur maladive

MENELAS

Relève la tête !

Ravale les larmes d’amour et de haine

Eclaircit toi le regard

Racle ta gorge

TU VAS LA REVOIR

Elle revient comme une pluie de pierre

Mets les mains sur ton cœur

Protège toi

HELENE VA PARAITRE !

HELENE

la plus que belle,

la presque divine

la ravageuse, l’inspiratrice

Héléné, La lune, Suelena, la brillante,

Hélène née dans un œuf,

Gueule de chien, et fleur de Safran

Son seul regard dit-on

suffit à faire éclore le monde

Son seul regard dit-on

suffit à faire éclore le monde

Sa toute beauté qu’on dit, suffit à faire éclore la guerre !

La guerre ?

Hélène, Troie, la pomme, le cheval, Pâris !

Tyndare, Castor et Polux, Clytemnestre, Léda

Zeus, Eris, Aphrodite, Achille, Priam, Agamemnon, Iphigénie

Et le Tutti Quanti !

LES ATRIDES QUOI

Un bordel sans nom cette affaire de Troie, de guerre, de pomme, de cheval

Enfin un bordel sans nom

Plutôt le contraire

Des noms des noms partout

des descendances, des lignées, des dynasties

on a même pas commencé à se battre qu’on est déjà perdu

on sait plus qui tuer parce qu’on ne sait plus qui est qui

qui est le fils de qui

qui est Divin

qui ne l’est pas

qui est de lignée sanglante

ou non

c’est un bordel l’Iliade

Un bordel

On comprend même pas comment ils ont pu se faire la guerre dans tout ce bordel

Et quand on est perdu

On ne peut pas vraiment se ramollir

On ne peut pas vraiment se ramollir

Pour se ramollir il faut arrêter de chercher à comprendre

On dit que Gaïa, la terre

serait allée voir Zeus en disant

qu’elle était piétinée par les humains

Qu’il y avait trop d’humains sur terre.

Ah bon ? Déjà ?

Déjà à ce moment là !

Attendez les gars !

Et nous on est censés dire quoi ?

On dit que Zeus au lieu d’envoyer la foudre comme à son habitude

Aurait demandé à Eris d’envoyer la pomme de la discorde

Et qu’après 2-3 péripéties

Pâris serait parti avec Hélène

Et qu’une bonne veille guerre aurait éclaté

pour les divertir ces Dieux qui s’ennuient

La Gaia qui s’enrage

D’humains trop nombreux

ET VOILA LA CATASTROPHE QUI ARRIVE SUR TERRE

ET QUI A LE VISAGE DE LA BEAUTE 

La cause de la guerre ?

La beauté,

nous raconte l’Iliade.

Pas la jalousie… ?

Non. Hélène, la beauté d’Hélène

Pa la possession ? Le pouvoir ?

Non. Hélène

La cause de la guerre c’est elle

C’est simple, basique.

Derrière la guerre, la beauté.

Achille serre ses dents de fer et d’or

A la mort de Patrocle

Et il le dit : tout ça pour Hélène, sa beauté

Derrière tous les morts, toujours Hélène

Elle a bon dos la pauvre Hélène

La beauté, la source de la guerre

Et derrière la beauté il y a quoi ?

Les Dieux de ces temps-là

Et derrière la volonté des Dieux de ces temps-là

qui est comme la foudre qui s’abat

Il y a les humains

Les humains qui écrivent des légendes avec des Dieux

pour raconter les causes de la guerre

La littérature des humains

La littérature, la cause la guerre alors ?!

Non !

Derrière la littérature humaine qui raconte les causes des guerres humaines,

Provoqué par des Dieux pas humains qui envoient la beauté pour causer la guerre

Il y a au départ

Il y a

La peur

LA PEUR

La peur des humains

La peur de disparaître

La peur de l’inconnu

L’inconnu qui est l’autre

et qui n’est pas nous

L’étrange étranger.

HELENE ET MENELAS

LA

MAINTENANT

ILS VONT SE REVOIR

La peur au ventre

Comme 2 étrangers

Le cœur en cendre

L’avenir perdu pour l’un comme pour l’autre

On pourra dire ce que l’on veut

Mais quelque chose en eux

a survécu au carnage

Pour vivre cette nuit

Des mots gorgés de larmes et de dents serrées

De ventre, de chair, de poigne…

Elle va paraître

Elle va apparaître

Que reste-t-il de leur humaine humanité

Après toute cette douleur ?